Sunday, February 19, 2012

L'image photographique comme trace

C'est l'existence du « fantasme dépressif » qui définit la différence essentielle entre « trace » et « empreinte » et qui institue l'image photographique comme trace. L'empreinte n'est que l'attestation d'un passage. Elle ne résulte pas du désir d'inscription, mais seulement de la mise en contact fortuite d'un objet avec une surface réceptrice. Au contraire, la trace atteste le désir qu'a eu celui qui l'a laissée de réaliser une « inscription ». Ce désir est celui de rester éternellement présent dans l'objet sur le modèle de ce qu'on ressent — ou de ce qu'on a ressenti — de la présence de l'objet en soi. L'émotion amoureuse, par le sentiment très vif d'être marqué à vie par la présence de l'objet en soi, est un puissant moteur à la fabrication de traces : coeurs entrelacés sur le tronc des arbres, poèmes et dessins de l'amoureux en témoignent. Toute émotion esthétique fonctionne de la même façon en induisant le désir d'inscrire dans une trace définitive le lien intense qui a uni le sujet à l'objet de son émotion. Cette trace est destinée à attester que cette union a bien existé et à en immortaliser en quelque sorte le moment dans une forme matérielle. Celle-ci met donc en scène un fantasme d'inclusion réciproque : du sujet dans la trace (toute trace est une forme de signature) et de l'objet dans le sujet (c'est parce qu'un objet était présent dans le sujet, sous la forme d'une émotion, que le désir de trace est advenu). Toute trace atteste à la fois la possibilité pour le sujet de contenir l'objet de son émotion et le sentiment très vif d'être contenu dans l'objet qui a accompagné cette émotion.

Serge Tisseron, Le mystère de la chambre clairePhotographie et inconscient

2 comments:

  1. Voilà un écrit que je ne connaissais pas et que je trouve lumineux.. Il faut que je reprenne un abonnement à la bibliothèque ;) Merci pour cette publication Yves..

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  2. Je n'avais pas remarqué ton commentaire sous cet extrait de Tisseron, Flo. Je viens de le découvrir après avoir relu ce texte. Et c'est précisément à toi que je pensais au cours de cette relecture. Il serait peut-être bon que tu le signales à notre ami Franck, qui — j'en suis certain — sera aussi content de le lire que nous l'avons été.

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