Tuesday, March 13, 2012

Ce que nous appelons le progrès

L’univers tout entier est composé de systèmes stellaires. Pour les créer, la nature n’a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodi­gieux qu’elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinai­sons qu’elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l’étendue, la nature doit répéter à l’infini chacune de ses combinaisons originales ou types. Tout astre, quel qu’il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l’espace, non pas seulement sous l’un de ses aspects, mais tel qu’il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu’à la mort... La terre est l’un de ces astres. Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes sembla­bles. Ainsi de chacun... Le nombre de nos sosies est infini dans le temps et dans l’espace. En conscience, on ne peut guère exiger davantage. Ces sosies sont en chair et en os, voire en pantalon et paletot, en crinoline et en chignon. Ce ne sont point là des fantômes, c’est de l’actualité éternisée. Voici néan­moins un grand défaut : il n’y a pas progrès... Ce que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s’évanouit avec elle. Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l’univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil. Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers. L’univers se répète sans fin et piaffe sur place. L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations.

Auguste Blanqui