Showing posts with label trace. Show all posts
Showing posts with label trace. Show all posts

Sunday, May 27, 2012

Le « y » est conforme au tracé de sa lettre

Le « y » est conforme au tracé de sa lettre : Y — c’est une fourche, y être, c’est être à la naissance de l’embranchement, à la croisée des chemins, venant d’une direction antérieure sur laquelle il n’y a pas à se retourner, qui n’est plus une direction mais une trace en train de s’effacer ; à l’embranchement il n’y a que distension, écartement, droite et gauche, devant et derrière, haut et bas, ouvrir ou fermer les yeux : ce battement est le plus souvent aussitôt décidé, je vois ceci ou cela, je bouge dans tel sens, mais il peut aussi se faire que je reste suspendu dans le sentiment d’une indécision qui est l’ouverture elle-même ; ce n’est pas une hésitation — qui suppose, pour sa part, que je confronte des options possibles, c’est bien plutôt une stase où l’ouverture se donne comme telle, c’est-à-dire comme le bord, le contour de l’angle ouvert — V — par lequel je suis ouvert, non pas à deux directions possibles mais à une infinité potentielle que définit l’empan de l’ouverture, donc l’ « ici » qui fait moins un « où » qu’un « d’où » : de là, à partir de là « je » suis c’est-à-dire ça s’ouvre d’une certaine manière.

La « certaine manière » — la « Jemeinigkeit », le « chaque fois mien » — ne peut être « certaine » en ce sens (singulière, déterminée, propre) que parce qu’elle s’ouvre à un monde, c’est-à-dire à une totalité de significabilité (Bedeutsamkeit). « Je » peux devenir point d’émission et de réception de renvois à tous les autres points auxquels s’ouvre l’ouverture que je suis. Mais cela veut dire en même temps que le « s’ouvrir » ici est aussi bien un « être ouvert » : le monde m’ouvre en ce que c’est le réseau des renvois qui me situe en lui. Le « sensible » est ouverture de sens, envoi ou renvoi de sens, au sens : l’espace, l’écartement, la distance, l’approche ou l’éloignement, la montée ou a descente sont des linéaments de sens, de même que les couleurs et les textures, les sons avec leurs timbres, leurs hauteurs, leurs façons de naître et de mourir, etc.

Le sens sensible enveloppe d’abord la signification, qui ne s’en détache et ne s’isole comme telle — comme langage — que de manière limitée et provisoire.

Jean-Luc Nancy, Dans quels mondes vivons-nous ?

Sunday, February 19, 2012

L'image photographique comme trace

C'est l'existence du « fantasme dépressif » qui définit la différence essentielle entre « trace » et « empreinte » et qui institue l'image photographique comme trace. L'empreinte n'est que l'attestation d'un passage. Elle ne résulte pas du désir d'inscription, mais seulement de la mise en contact fortuite d'un objet avec une surface réceptrice. Au contraire, la trace atteste le désir qu'a eu celui qui l'a laissée de réaliser une « inscription ». Ce désir est celui de rester éternellement présent dans l'objet sur le modèle de ce qu'on ressent — ou de ce qu'on a ressenti — de la présence de l'objet en soi. L'émotion amoureuse, par le sentiment très vif d'être marqué à vie par la présence de l'objet en soi, est un puissant moteur à la fabrication de traces : coeurs entrelacés sur le tronc des arbres, poèmes et dessins de l'amoureux en témoignent. Toute émotion esthétique fonctionne de la même façon en induisant le désir d'inscrire dans une trace définitive le lien intense qui a uni le sujet à l'objet de son émotion. Cette trace est destinée à attester que cette union a bien existé et à en immortaliser en quelque sorte le moment dans une forme matérielle. Celle-ci met donc en scène un fantasme d'inclusion réciproque : du sujet dans la trace (toute trace est une forme de signature) et de l'objet dans le sujet (c'est parce qu'un objet était présent dans le sujet, sous la forme d'une émotion, que le désir de trace est advenu). Toute trace atteste à la fois la possibilité pour le sujet de contenir l'objet de son émotion et le sentiment très vif d'être contenu dans l'objet qui a accompagné cette émotion.

Serge Tisseron, Le mystère de la chambre clairePhotographie et inconscient